Génocide des Tutsi : où en est la justice française 25 ans après ?

Alain Gauthier
4/03/2020

Alain GAUTHIER
CPCR

Le Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda (CPCR), dont l’objectif est de déférer devant la justice française les personnes soupçonnées d’avoir participé au génocide contre les Tutsi ayant trouvé un accueil, souvent trop complaisant, sur le sol français, se bat pour que justice soit rendue aux victimes.

Depuis le premier numéro de La Nuit rwandaise, Alain Gauthier, son président, rend compte de l’avancée des procédures en cours. Nous saluons le travail accompli. En effet, depuis 2001, ce ne sont pas moins de trente1 personnes qui ont fait l’objet d’un dépôt de plainte en France pour présomption de crime de génocide et de crime contre l’humanité (ou de complicité).

Essayer de faire le point sur les affaires judiciaires en France devient véritablement frustrant dans la mesure où les lenteurs de la justice pourraient nous laisser penser que les juges traînent les pieds. En réalité ce n’est pas le cas, mais les victimes ont le droit de s’impatienter. Vingt cinq ans après, avec le sentiment de nous répéter, où en sont les affaires ?

Trois condamnations

Trois génocidaires ont été condamnés par la Cour d’Assises, en première instance et en appel.

Pascal SIMBIKANGWA a été la première personne condamnée en France pour génocide. Il purge une peine de 25 ans de prison.

Octavien NGENZI et Tito BARAHIRA, les deux anciens bourgmestres de Kabarondo, ont quant à eux écopé de la peine maximale : ils ont été condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité. Ils se sont pourvus en cassation.

Trois procédures en appel

Trois autres personnes soupçonnées d’avoir participé au génocide ont été déférés devant la Cour d’assises mais tous trois ont fait appel. Autant de procédures qui retardent les échéances.

• Claude MUHAYIMANA, poursuivi pour avoir conduit les Interahamwe sur les collines de Karongi et de Bisesero, a vu la décision des juges confirmée en appel mais il s’est pourvu en cassation. Nous attendons impatiemment la décision qui, nous l’espérons, lui sera défavorable. Il devrait être le prochain à rendre des comptes à la justice.

• Laurent BUCYIBARUTA, ancien préfet de Gikongoro, et Sosthène MUNYEMANA, « le boucher de Tumba », gynécologue à Butare pendant le génocide, ont tous deux fait appel de la décision et, là encore, nous attendons !

• Fabien NERETSE [1], que nous avions retrouvé à Angoulême, une ville du sud-ouest de la France, sous le nom de son père, sera finalement jugé prochainement par la Belgique qui avait demandé son extradition. Le procès devrait commencer début novembre et concernera deux autres personnes poursuivies par la Belgique.

Trois Non-lieux

Trois non-lieux ont été prononcés : celui de l’abbé Wenceslas MUNYESHYAKA (le CPCR s’est pourvu en cassation), de Pierre TEGERA et de Paul KANYAMIHIGO, Paul CAMY depuis sa naturalisation. Ce dernier était le chauffeur de l’orphelinat Sainte-Agathe de Masaka.

Par manque d’informations, nous n’avons pas pu demander des actes complémentaires dans les deux dernières affaires. Il se pourrait que d’autres non-lieux soient prononcés, à notre grand désespoir, mais là encore nous n’avons pas les moyens de citer davantage de témoins.

Affaires en cours

Dans le dossier Agathe KANZIGA, nous n’avons aucune nouvelle de l’avancement de l’instruction. Nous savons simplement qu’elle s’est tournée vers la CEDH, la Cour Européenne des Droits de l’Homme lorsque la France lui a refusé un titre de séjour.
Sera-t-elle jugée un jour ? On peut en douter.

Remis en liberté par la CPI en décembre 2011, Callixte MBARUSHIMANA reste poursuivi en France, suite à une plainte déposée par le CPCR en février 2008. Cet ancien fonctionnaire du PNUD à Kigali a failli à son tour bénéficier d’un non-lieu mais nous avons réussi à obtenir la réouverture de l’instruction.

Stanislas MBONAMPEKA, ancien ministre de la Justice et visé par une plainte du CPCR de novembre 2011, serait allé s’installer en Belgique où plusieurs personnes l’auraient rencontré. Il pourrait bien échapper à la justice !

Pour mémoire, d’autres affaires sont toujours à l’instruction sans qu’on ait beaucoup de nouvelles. Elles concernent en particulier, Laurent SERUBUGA, ancien chef d’Etat-major adjoint, Eugène RWAMUCYO, médecin au Centre de Santé de Butare en 1994, Marcel BIVUGABAGABO, militaire, Isaac KAMALI, originaire de Gitarama, Charles TWAGIRA, directeur de l’Hôpital de Kibuye, Joseph HABYARIMANA, poursuivi pour des crimes qu’il aurait commis à Sovu et Gihindamuyaga, Manassé BIGWENZARE, juge de canton à Kiziguro, Vénuste NYOMBAYIRE, de SOS Village enfants dont on nous annonce la clôture prochaine de l’instruction, Hyacinthe NSENGIYUMVA, ancien ministre du gouvernement intérimaire et ancien FDLR.

Philippe HATEGEKIMANA, MANIER depuis sa naturalisation, avait quitté la France pour le Cameroun. Il a été extradé et est actuellement incarcéré.
Enoch KAYONDO n’a pas été retrouvé en France !

La dernière plainte du CPCR rendue officielle concerne Michel BAKUZAKUNDI, de Kigali/Remera (11/2017). Elle est à l’instruction.

Une instruction ouverte par le parquet !

A noter que le Parquet, fait exceptionnel, a décidé d’ouvrir une instruction contre Thomas NTABADAHIGA, commerçant de Cyangugu. Le CPCR s’est constitué partie civile en août 2018. Il semblerait que Bonaventure MUTANGANA, frère de SIMBIKANGWA, fasse aussi l’objet de poursuites à l’initiative du Parquet.

Le combat continue

Enfin, le CPCR vient de déposer deux nouvelles plaintes sur lesquelles nous ne pouvons pas encore communiquer. Une troisième est en préparation.
Difficile d’être plus exhaustif.

Les choses avancent beaucoup trop lentement. Au rythme d’un procès tous les deux ans, plusieurs personnes visées par des plaintes risquent de ne jamais être jugées, ne serait-ce que pour une question d’âge !

Nous continuons le combat, même s’il est de plus en plus difficile de retrouver des témoins.

Que ceux qui savent n’hésitent pas à parler tant qu’il est encore temps.

Alain GAUTHIER, président du CPCR

Pour mieux connaître les activités du Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda, n’hésitez pas à visiter le site du CPCR
www.collectifpartiescivilesrwanda.fr

Fabien NERETSE condamné à 25 ans de réclusion

La Cour d’assises de Bruxelles vient de condamner monsieur Fabien NERETSE à 25 ans de réclusion criminelle pour « génocide et crimes de guerre » à l’issue d’un procès qui aura duré six semaines. Le Procureur avait demandé 30 ans. Les familles de victimes se félicitent de cette décision. Visé par une plainte déposée en Belgique par madame Martine BECKERS dès la fin du génocide des Tutsi, Fabien NERETSE s’était installé à Angoulême où il vivait sous le pseudonyme de NSABIMANA, nom de son père. C’est dans cette ville que le CPCR l’avait identifié en 2008. Après son arrestation en 2011, la justice française avait pris la décision de l’extrader vers la Belgique où il vient enfin d’être jugé.

Le combat pour la justice continue, dans tous les pays où des personnes soupçonnées d’avoir participé au génocide se sont réfugiées. La France et la Belgique sont probablement les pays européens qui en ont accueilli le plus, leur accordant assez facilement soit le statut de réfugié, soit la naturalisation. Des décisions qui nous restent encore peu compréhensibles. Nous attendons avec une réelle impatience que les trois personnes déférées devant la Cour d’assises de Paris comparaissent enfin : Claude MUHAYIMANA, le docteur Sosthène MUNYEMANA et l’ancien préfet de Gikongoro, Laurent BUCYIBARUTA, qui ont fait appel. La même impatience concerne toutes les instructions en cours.

Alain GAUTHIER, président du CPCR
20/12/2019

Alain Gauthier est le président du Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda. Il fait chaque année pour la revue La Nuit rwandaise un point sur les affaires judiciaires, en France, touchant des (...)
 En savoir plus
 4/03/2020

[1Depuis la rédaction de cet article, en avril 2019, Fabien NERETSE a été condamné à 25 ans de réclusion. Voir le communiqué du CPCR à la fin de cet article.

 Vos commentaires