Jean-Luc Galabert
DGR
Les travaux de Gabriel Péries, David Servenay, Marie-Monique Robin, Léon Saur et d’autres chercheurs encore, notamment regroupés autour de la revue française La Nuit rwandaise [1], montrent que l’on ne peut comprendre la forme des conflits et la logique des événements, non seulement au Rwanda au tournant des années cinquante et soixante, mais aussi en Afrique et sur d’autres continents, sans appréhender les nouvelles doctrines politico-militaires qui virent le jour et se diffusèrent dans les milieux militaires au sortir de la Seconde Guerre mondiale.
Pour contrer et éliminer les forces considérées comme potentiellement subversives, communistes au premier chef, mais aussi nationalistes, qui avaient en commun d’être perçues par le « camp occidental » comme une menace à l’ordre international qu’il souhaitait, cette nouvelle doctrine se répandit non seulement dans les cercles militaires mais aussi, nous le verrons, au-delà, dans le cas rwandais.
Cette technique a pris divers noms dans les jargons militaires : elle a initialement été appelée « guerre révolutionnaire » par Mao Tsé Toung, puis par le colonel français Lacheroy qui s’inspira des principes théorisés par le « grand timonier » pour forger in fine une doctrine à proprement parler anticommuniste et antirévolutionnaire ; dans les pas de Lacheroy, le colonel Roger Trinquier appela cette nouvelle stratégie militaire « guerre moderne ». Elle sera ultérieurement qualifiée de guerre « contre-révolutionnaire », « asymétrique » « antisubversive », ou encore « contre-insurrectionnelle » (« counter-insurgency » en anglais).
Par-delà leurs différents noms, ces doctrines du maintien, de l’instauration ou de la restauration d’un ordre social ont en commun d’avoir élaboré des techniques militaires qui s’affranchissent des formes de guerre classiques entre deux armées et surtout des règles du droit de la guerre telles que les conventions de Genève l’avaient établi au XIXe et au début du XXe siècle. Nous utiliserons dans le développement qui va suivre le vocabulaire le plus commun dans les années cinquante à savoir l’expression « doctrine de la guerre révolutionnaire », abrégée en DGR.
L’historiographie de ce nouvel « art » de la domination, rapporte qu’en 1952, l’officier français Charles Lacheroy, affecté en Indochine, conçut la matrice de cette doctrine militaire après avoir découvert un livre sur un prisonnier viêt-minh. Cet ouvrage qu’il fit traduire était intitulé La guerre révolutionnaire, et avait pour auteur Mao Tse Toung. L’une des phrases de l’ouvrage, « les populations de l’arrière sont plus importantes que tout le reste », le conduisit à remettre en question tous les préceptes de la guerre classique.
Il arriva à la conclusion que l’armée française, supérieure en nombre et en armement à son adversaire, avait été vaincue en Indochine parce que le viêt-minh avait été capable de contrôler et d’attirer la population vietnamienne dans son camp, par la conviction ou la force. Cette réflexion l’amena à formuler une doctrine militaire qui mettrait le contrôle de l’arrière, et l’action psychologique par la séduction ou la terreur sur les populations, au cœur de la stratégie des guerres à venir.
La nouvelle doctrine et technique fut mise en application pour la première fois pendant la guerre d’Algérie contre les nationalistes Algériens, et dès 1956 au Cameroun pour anéantir les Bassas et les Bamilékés ; les Belges assistés par des officiers étrangers, comme le Français Roger Trinquier, l’appliquèrent au Congo ; sa version britannique, élaborée initialement dans la lutte contre l’IRA [2] en Irlande, fut appliquée au Kenya contre la révolte des Mau Mau en 1952. En Indonésie, sa mise en œuvre provoquera plusieurs centaines de milliers de morts en 1964 et 1965. Une école de formation au savoir-faire français fut créée en Algérie, à Arzew, où séjournèrent des militaires de divers pays. Après la sale guerre d’Algérie, ces pratiques seront également exportées en Amérique latine par l’armée française et appliquées à l’échelle du continent dans le cadre du plan Condor.
Ce savoir-faire a d’autant plus circulé que la profession d’officier militaire implique une formation internationale et que la lutte contre le communisme était alors la question primordiale de la plupart des états-majors du « camp occidental » [3]. John-Fitzgerald Kennedy, qui avant son élection à la présidence des États-Unis avait fait un voyage d’études en Algérie, en pleine guerre, avait au cours de son séjour été séduit par la théorie et la pratique française de la guerre révolutionnaire. Devenu Président, il demanda à son secrétaire d’État, McNamara, de contacter Pierre Messmer, alors ministre français des Armées, pour accueillir aux États-Unis des experts de la guerre antisubversive. C’est ainsi que le général Aussaresses fut délégué à Fort Bragg, le siège des forces spéciales américaines. [4]
Dans un entretien accordé à Yannick Miara pour la Revue La Nuit Rwandaise [5], Léon Saur rapporte que les archives belges révèlent que les contacts furent nombreux entre l’armée métropolitaine et la Force Publique (FP) belges, l’armée française et l’armée britannique dès les années mille neuf cent cinquante. Le colonel Logiest participa à certaines rencontres avec d’autres officiers belges de la Force Publique. Le major Marlière, qui sera le bras droit du colonel au Rwanda, participa, après un séjour en Indochine, à des stages au Centre d’instruction de pacification et de contre-guérilla d’Arzew.
En 1956 et 1957, la Force Publique et les paracommandos belges effectuèrent au Congo des manœuvres sur le thème du maintien et du rétablissement de l’ordre public, qui impliquaient la prise de mesure de nature contre-insurrectionnelle. Des officiers portugais, français et britanniques y assistaient. « Le moins qu’on puisse dire, souligne l’historien Léon Saur, est qu’il y avait une connivence, une filiation intellectuelle » [6] entre militaires belges et français.
La connaissance de la doctrine de la guerre révolutionnaire a pu également dépasser les cercles strictement militaires, car à la fin des années cinquante, notamment en 1957-1958, ce sujet fut vulgarisé par la publication d’articles et de dossiers dans la presse belge et française notamment et par la publication de différents ouvrages en France et en Belgique.
Axes et principes de la doctrine
de la guerre révolutionnaire
La guerre révolutionnaire peut se définir comme un ensemble structuré de techniques militaires, policières et psychologiques de domination, de soumission ou d’éradication pour arriver à un objectif politique donné en utilisant l’ensemble des moyens légaux et extra-légaux qui permettent sa réussite indépendamment de tout jugement moral commun.
● Sur un plan pratique, le premier objectif de la DGR est de gagner les populations. Il s’agit idéalement de « gagner le cœur et l’esprit » par les moyens disponibles de la presse écrite et de la radio, la diffusion de tracts, l’organisation de rassemblements publics, la mise en place d’action bienfaitrices donnant une image positive des acteurs de l’opération de guerre révolutionnaire.
● La maîtrise de la communication et du discours dominant sur les événements et la situation vécue par la population (choix des mots pour décrire les événements et du sens donné à la situation) constituent des ressorts importants du volet psychologique de la guerre « des cœurs et des esprits ».
● Le quadrillage du terrain, et le contrôle de la population sont deux autres principes essentiels. Ils sont mis en œuvre par des « hiérarchies parallèles » que Lacheroy appelle des organisations politico-administratives (O.P.A.) par lesquelles la population est surveillée et encadrée de manière verticale (par les instances administratives de l’échelon du quartier jusqu’au niveau national) et horizontale (par des organisations de jeunesse, coopératives, syndicats, entreprises, associations...)
● Lorsque l’opération visant à gagner les cœurs échoue, ce qui est le cas le plus courant, la formule alternative ou connexe est celle de la terreur : il faut terroriser les populations de manière à ce qu’elles n’osent plus s’opposer au pouvoir en place ni soutenir l’ennemi désigné.
● Une caractéristique majeure de la DGR est de définir l’ennemi, d’une manière inédite. L’ennemi n’est plus un belligérant classique bénéficiant des protections accordées par le droit de la guerre et les conventions de Genève. Son action est par avance délégitimée de manière radicale en étant stigmatisée comme délinquant social ou comme terroriste.
● La définition de l’ennemi est extensive et s’applique potentiellement à toute personne qui soutient son action ou ses idées et, plus radicalement, qui n’apporte pas la preuve de son attachement au pouvoir qui combat cet ennemi.
● Avec cette définition disparaît la notion de front ennemi. L’ennemi peut être partout. Il s’incarne dans un segment de la population qu’il faut selon les situations convertir, réduire à l’impuissance ou éliminer.
● Cette disparition d’un front ennemi justifie la création de structures paramilitaires qui enrôlent des civils dans des groupes d’autodéfense, des milices...
● Pour être radicalement combattu, l’essentialisation de l’ennemi est un ressort crucial. La stigmatisation religieuse, politique ou la racialisation est utilisée à cet effet.
● De ce fait la scène sociale et politique devient binaire : le monde se partage en amis et ennemis.
● Par delà la distinction amis-ennemi, l’ensemble de la population doit être surveillée par les « hiérarchies parallèles », déjà citées plus haut.
● La DGR est une guerre totale, qui utilise le droit établi tout en se donnant la latitude de recourir à toute mesure extrajudiciaire que ses acteurs jugent nécessaire pour atteindre ses objectifs. Le recours à ces mesures échappant au droit ordinaire se fait clandestinement et est mise en œuvre par des cellules et des corps non officiels ou par l’instauration d’« états d’urgence et d’exception »
● Sur le terrain, l’armée se voit confiées des missions de police, et la police est militarisée. Pour ajouter à la confusion, des organisations paramilitaires miliciennes se substituent, épaulent ou concurrencent l’une et l’autre.
● Pour réussir, les orchestrateurs de la DGR ont besoin de maîtriser le discours qui est construit sur les événements qu’ils génèrent et manipulent, d’en dominer la face visible et publique et la face occulte dont la divulgation pourrait compromettre l’acceptation de la politique mise en œuvre.
● Dans cette optique la fabrication de fausses nouvelles et de faux documents notamment pour discréditer et diaboliser l’ennemi est une pratique classique.
Échouant généralement à conquérir pacifiquement « les esprits et les cœurs », la DGR institue in fine une guerre totale, qui une fois déclenchée, ne peut avoir de fin. Il est impossible d’y mettre fin sauf si l’ennemi qu’elle désigne est anéanti, puisqu’il est impossible de négocier avec lui dans le cadre d’un tel conflit. L’unique autre alternative pour y mettre un terme est de vaincre et mettre hors d’état de nuire les promoteurs de cette guerre contre la population.
Visant le contrôle absolu des corps et des esprits, la DGR allie indissolublement un volet militaro-policier et paramilitaire et un volet social et psychologique pour sa mise en œuvre.
C’est ainsi que dès 1954, le succès de cette nouvelle doctrine conduira en France à instituer le « centre interarmées de l’arme psychologique » que le ministre Messmer qualifiera de « cerveau de tout le système ». En 1955, apparurent de bureaux spécialisés dans l’action psychologique, nommés par les militaires « cinquièmes bureaux ». Ces bureaux furent implantés à travers toute l’armée d’Algérie si bien qu’en 1957 chaque état-major de corps d’armée, chaque zone et secteur opérationnel de la colonie française en était doté [7].
C’est aussi pourquoi au Rwanda, le colonel Logiest recruta le Docteur Piraux qu’il décrit comme un « spécialiste du cerveau » pour « donner des indications précieuses sur la façon d’assurer l’information de la masse et des instances de l’intérieur » et diriger « l’action psychologique sur les masses » [8]
L’application de la doctrine
de la guerre révolutionnaire au Rwanda
Selon Léon Saur, Grégoire Kayibanda aurait été le premier à avoir introduit la doctrine de la guerre révolutionnaire au Rwanda. Dans un entretien qu’il nous a accordé en juin 2016, l’historien spécialiste de la période 1950-1964 au Rwanda livrait l’analyse suivante :
« Pour avoir étudié les rapports des administrateurs de territoire rédigés en novembre 1959 au moment de la révolution, quand la révolution est chaude, et que des combats ont lieu entre les Parmehutistes et les Ingabo de l’armée royale, et pour avoir étudié la manière dont les événements se déroulent sur la carte du Rwanda on ne peut qu’être frappé par ce qui apparaît manifestement comme une insurrection planifiée, tout au moins dans le nord-ouest du Rwanda dans les territoires de Gisenyi et Ruhengeri et au centre du Rwanda du côté de Gitarama.
La manière dont les choses se mettent en place et se développent dans les premiers jours ne peut pas être le produit d’une improvisation. Manifestement cela a été préparé. D’autre part la structure même du mouvement Parmehutu, telle qu’elle est réorganisée par Kayibanda à son retour d’Europe en novembre 58, s’inspire des structures du mouvement chrétien ouvrier belge au contact duquel il a été pendant plus d’un an pendant son séjour en Belgique comme stagiaire du journal Vers l’avenir, mais aussi pour avoir beaucoup fréquenté les milieux mocistes [9] syndicaux chrétiens belges. Il y a manifestement dans cette réorganisation une inspiration qui lui vient de ce qu’il a vu du mouvement chrétien.
Mais on peut aussi avoir un autre niveau de lecture qui est celui du quadrillage du terrain et des populations. Effectivement la structure du Mouvement Social Muhutu, dont le Parmehutu n’est que l’émanation politique, donne vraiment à penser qu’il y a une volonté, au travers du Mouvement social Muhutu, et qui sera mise au service du Parmehutu de quadriller les populations sur les collines. Et là manifestement, cela ressemble beaucoup à la doctrine et à la théorie des hiérarchies parallèles développée par le colonel Lacheroy et d’autres dans la doctrine de la guerre révolutionnaire. Pour moi cela paraît évident. Je n’ai pas réussi encore à mettre la main sur des documents qui le diraient noir sur blanc, mais tout ce que j’ai trouvé dans les archives me donne un réseau de présomptions qui me donne de plus en plus à penser qu’effectivement que cette hypothèse est valide. »
Dans sa thèse déjà citée, inépuisable source d’informations et de documents d’archives, Léon Saur précise [10] :
« Si étonnant que cela puisse paraître, Kayibanda a peut-être commencé à déployer une structure partisane à vocation de « prise en mains des populations » [11] dès la fin 1958. C’est-à-dire bien avant l’entrée en scène de Logiest (qui put bien évidemment le conseiller dès la mi-novembre 1959) : l’organisation du M.S.M. en un mouvement social d’éducation inspiré du modèle du M.O.C./A.C.W. [12] dès la fin 1958, peut en effet être interprétée comme un leurre occultant la mise en place d’une O.P.A. Il en va de même pour l’organisation semi-clandestine du M.S.M. et le culte du secret qui entoura sa genèse et ses premiers mois d’existence, dont il ne faut peut-être pas limiter la cause à la seule crainte des représailles « tutsi ».
Dès les premières heures de la Toussaint 1959, Kayibanda et les siens semblent aussi avoir eu recours à des techniques de manipulation, de conquête et de contrôle physique et psychologique des masses [13] : persuasion, désinformation et coercition (y compris, selon la Sûreté elle-même, des méthodes assimilables au « terrorisme », l’arme révolutionnaire par excellence).
Bref, des méthodes énumérées dans les écrits relatifs à la guerre révolutionnaire dès les années cinquante. Surtout, le politologue Donat Murego écrivit en 1976 que les « paysans rwandais » menèrent une « guerre révolutionnaire » pendant les deux semaines du soulèvement de la Toussaint.
Nous ne pouvons nous résoudre à voir chez Murego une méconnaissance des faits ou un mésusage des mots : il était politologue et savait de quoi il parlait en tant qu’ancien proche des milieux dirigeants du M.D.R.-Parmehutu. La volonté de contrôler étroitement les populations peut également se déduire des témoignages, mais aussi de l’organigramme du M.S.M.-Parmehutu et de l’importance des barwanashyaka sur les collines (sans oublier la désignation d’autorités intérimaires le plus souvent choisies parmi les leaders locaux du parti) dans l’organisation du parti au plus tard en janvier 1960, mais déjà prévus en filigrane dans la structure du M.S.M présentée au groupe de travail en avril 1959.
Fin mars 1960, le pasteur Guillebaud qualifia déjà le Parmehutu de « puissante organisation », dont les « Hutu » parlaient en tremblant. En septembre 1961, le parti tira un gain électoral maximal de ce qu’Aaron Segal appela trois ans plus tard l’« organisation cellulaire » conçue par Kayibanda. Cela, même si la mise en place de cette organisation s’accompagna – avant que l’ordre nouveau parmehutiste s’installe pleinement sur les collines – d’une période de vacance du pouvoir dans certaines régions, dont profitèrent audacieux, opportunistes, déclassés revanchards, frustrés ambitieux, fripouilles et gens de rien pour saisir la chance qui passait en se réclamant du parti, améliorer rapidement leur statut social et tirer le meilleur parti de la situation, au besoin en usant du caractère fluctuant de l’appartenance « raciale ». »
Ces informations livrées par Léon Saur aident à comprendre :
● d’une part la forme organisationnelle en cellule remarquablement efficace du Mouvement Social Muhutu et de son avatar MDR Parmehutu qui s’apparentent aux hiérarchies parallèles théorisées par Lacheroy ;
● d’autre part, son mode opératoire sur les collines : séduction, intimidation, l’encadrement des populations dans ses zones, la diffusion de fausses informations et le recours à la violence et à la terreur comme mode d’action politique ;
● enfin le choix de la bipolarisation, sur un critère racial, qui partage irréductiblement la société en deux blocs « amis » et « ennemis ».
Ces différentes formes de domination sont toutes des stratégies et des techniques théorisées par la doctrine de la Guerre révolutionnaire.
L’analyse de Léon Saur permet aussi de comprendre le choix réciproque du colonel Logiest et de Kayibanda de s’appuyer l’un sur l’autre. Les deux hommes partageaient une filiation intellectuelle, des manières de concevoir l’action politique, une foi catholique (« bigote » selon certains témoignages), et une forte conviction anticommuniste. De plus lors de leur première rencontre, Kayibanda, qui avait été recommandé au colonel par Mgr Perraudin, avait déjà fait preuve d’un talent politique et organisationnel dont Logiest avait besoin pour atteindre les objectifs qui lui avaient été assignés au Rwanda.
Le choix du colonel breveté d’état-major (B.E.M.) Guy Logiest, auréolé de ses succès en matière de maintien de l’ordre à Stanleyville, pour « résoudre » la crise rwandaise en 1959, et l’attribution de pouvoir d’exception, fut indubitablement le choix d’appliquer la doctrine de la guerre révolutionnaire au Rwanda [14]. Pour le résident général Harroy, il fallait dans cette situation un homme capable de :
« pratiquer une grave opération chirurgicale qu’il fallait mener à bien en un temps court, avec sang-froid, fermeté, même insensibilité. […] Pour réussir l’opération quasi impossible qui, seule, pouvait ’désUnariser’ vraiment en profondeur les cadres politico-administratifs rwandais, il fallait, j’allais presque écrire ’un chef de guerre breveté d’état-major’, un stratège offensif, infatigable, impavide, imperturbable, que ne pourrait embarrasser aucun souvenir ou réflexe personnels si d’aventure la manœuvre requérait impérieusement de porter la main sur un notable, sur la reine mère, sur le mwami lui-même. » [15]
Pour qui connaît le jargon de la guerre révolutionnaire, le propos du Résident général est typique de cette doctrine.
Le colonel Logiest était donc pour Harroy l’homme de la situation. Dès son arrivée au Rwanda la stratégie que le colonel entendait mener ne faisait pas de doute. Il amenait avec lui notamment le major Marlière (dont nous avons évoqué plus haut la formation en DGR) qui allait lui servir de chef d’état-major pendant les premières semaines de sa mission au Rwanda À ce propos Léon Saur explique, dans l’entretien accordé à La Nuit rwandaise :
« Lorsqu’on relit la note de synthèse rédigée par Logiest et Marlière, qui a été publiée dans les mémoires de Logiest, on comprend que les deux hommes s’inspirent des méthodes de la guerre révolutionnaire. Les archives confirment cette impression. J’ai notamment réussi à mettre la main sur les comptes-rendus des réunions présidées soit par Harroy soit par Logiest, du 8 au 17 novembre 1959. Outre des militaires, y participent les principaux fonctionnaires de l’administration belge du Ruanda-Urundi.
La logique de Logiest est claire : il considère que l’Unar est l’adversaire. Les « Tutsi » étant nécessairement (à ses yeux) des Unaristes, il faut massivement « détutsier » – j’utilise le terme de l’époque – l’administration du Mwami. Du point de vue de l’officier belge, cette administration sert en effet de courroie de transmission à l’Unar pour faire passer ses mots d’ordre à la population. On est bien dans la description d’une organisation politico-administrative (OPA) adverse telle que définie dans les textes parlant de contre-insurrection.
Pour tenir la population, il faut remplacer cette OPA par une autre, amie. Il est donc nécessaire de se trouver des alliés sur place. Logiest va les trouver chez Kayibanda, parce que la structuration du mouvement social hutu et du Parmehutu aboutit à une prise en charge des populations et à un quadrillage du territoire. »
Autrement dit pour reprendre les termes de la DGR, Logiest a défini l’ennemi : ce sont les Tutsi confondus en un ensemble unique. Il n’envisage à aucun moment d’apaiser le pays pour résoudre par la négociation le conflit en cours et aboutir à une concorde nationale.
Son option est celle de l’élimination, dans un premier temps politique, des Unaristes et Tutsi de toute fonction administrative où il pourraient exercer une influence locale ou nationale. Pour parvenir à cette fin, il ne reculera devant aucun moyen.
Le premier objectif qu’il se fixe est de créer le contexte qui permettra de démettre l’ensemble des cadre tutsi de l’administration et de les remplacer par des hommes du Parmehutu. Harroy, Marlière et Logiest considèrent l’administration rwandaise locale, comme une OPA, c’est-à-dire, comme nous l’avons déjà mentionné, une organisation politico-administrative qui à l’instar du viêt-minh, en Indochine, contrôle la population. L’opération à mettre en œuvre à pour but de substituer à cette OPA ennemie une OPA amie qui sera à même de contrôler à son tour la majorité des Rwandais dans le sens souhaité par le colonel.
L’organisation dirigée par Grégoire Kayibanda ayant fait, depuis 1958, la preuve, avec son organisation en cellule, de sa capacité à contrôler les populations des zones où le Mouvement Social Muhutu était implanté, celle-ci était logiquement la mieux à même d’être associée au plan de Logiest.
Loin d’être un frein à la collaboration entre Logiest et Kayibanda, le racisme anti-Tutsi de ce dernier et de son parti apparaissait aux yeux du Colonel BEM, et du Major Marlière, comme un atout de premier plan pour cliver la société rwandaise et définir et distinguer sans ambiguïté les camps amis et ennemis.
Les archives exhumées par Léon Saur sont sur ce point édifiantes. Ainsi peut-on lire dans le Rapport de mission en Algérie rédigé par Marlière en décembre 1958, les extraits suivants :
« L’objectif n’est ni le rebelle ni le terrain, c’est la population. Conquérir l’objectif, c’est contrôler et protéger la population. Consolider l’objectif, c’est pacifier.
[...] la guerre subversive ne se gagne pas uniquement à coups de canon, elle déborde largement le cadre militaire classique. C’est une guerre totale dont l’objectif est la population. Il faut défendre les âmes et les esprits de la masse. C’est donc l’arme psychologique qui va jouer le rôle de premier plan. [...]
Le rebelle s’assure le contrôle physique et moral de la population par la méthode classique des hiérarchies parallèles et de la terreur. L’instrument de sa puissance c’est son organisation politico-administrative (O.P.A.) implantée dans la population. Ses bandes armées ne sont en fait qu’un phénomène secondaire. Elles sont destinées à donner du poids à l’autorité de l’O.P.A. Il en faut d’ailleurs très peu ; quelques hommes armés suffisent pour maintenir tout un groupe de villages dans l’obéissance. C’est donc l’O.P.A. qu’il faut détruire avant tout. Cette destruction doit donc être menée de front avec celle des bandes armées.
[...] quelques meneurs, bien instruits, peuvent déclencher le processus de la guerre révolutionnaire en se basant uniquement sur des sentiments raciaux. » [16]
Comme on le voit dans le dernier extrait ci-dessus, pour Marlière et pour les formateurs à la guerre révolutionnaire qu’il avait fréquentés en Algérie, l’argument racial était considéré comme un moyen efficace de soulever les masses. Cet argument servant son objectif politico-militaire, il était donc pour Logiest non seulement acceptable, mais également approprié à la situation, et ce n’est qu’à des fins tactiques que le colonel et Monseigneur Perraudin demanderont à Kayibanda de mettre en sourdine son discours raciste lors de la mission de visite de l’ONU en mars 1960. [17]
L’affinité des stratégies et du programme que Logiest va mettre en œuvre et celles du Parmehutu apparaît évidente à la lecture d’une longue note, contemporaine de la nomination du Colonel au poste de Résident spécial et de son opération de pacification du Muyaga de la Toussaint 1959. Cette note intitulée « Pour une durable pacification du Pays » [18] est rédigé par le le commis de 3e classe Jean-Baptiste Rwasibo, membre influent Parmehutu et ami de Grégoire Kayibanda :
« Grâce à l’intervention énergique des Forces de l’Ordre, les troubles diminuent et le Rwanda reconnaît un calme relatif. Mais ce calme n’est que momentané puisque les causes des émeutes que l’on vient de vivre subsistent et qu’à ces causes s’ajoute une tension encore plus grande produite par les événements de ces derniers jours. D’une part, la masse hutu heureuse de s’être vengée de ses puissants et orgueilleux oppresseurs est cependant inquiète des représailles de leurs ennemis réputés très haineux et revendicatifs. Elle s’oppose pour ce motif au rétablissement des réfugiés dans leurs propriétés et leurs biens. D’autre part, les Batutsi, chassés, blessés dans leur fierté ébranlée par les « »petits et vulgaires Bahutu » sont aussi furieux que désolés de se voir errer comme des misérables sans biens ni résidence, eux qui hier étaient les maîtres absolus de la situation.
Ils se demandent anxieusement comment ils pourront retourner là d’où ils ont été chassés et où, s’ils sont acceptés, ils resteront sous la menace imminente de la masse prête à se soulever à la moindre alerte. Sans parler des rancœurs inévitables des familles dont les membres ont été honteusement assassinés.
Comment pacifier durablement le pays ?
1) En prenant des mesures politiques efficaces avant la levée des mesures militaires. La cause du soulèvement populaire que nous vivons réside dans le fait que ce peuple est fatigué du régime actuel et veut à tout pris s’en débarrasser, il veut secouer une fois pour toutes le joug tutsi, et supprimer ce régime absolutiste et corrompu. Pour que ce peuple se calme, il faut qu’il soit représenté dans toutes les charges publiques.
a) Auprès du Mwami : il est temps de « détutsiser » la cour royale […]
b) Dans l’administration du pays : il est urgent de mettre des intérimaires hutu dans les sous-chefferies et chefferies dont les titulaires ont été chassés ou démis de leurs fonctions ou qui le seront dans l’avenir.
c) Dans les tribunaux indigènes : nomination d’éléments hutu dans tous les tribunaux indigènes de telle façon qu’il y ait une représentation égale dans le personnel judiciaire (…).
d) Organiser pour le mois de janvier ou de février 1960 au plus tard les élections des conseils de sous-chefferie et du pays prévus dans la déclaration gouvernementale pour la période de transition.[…]
2) En favorisant le reclassement des réfugiés dans les régions qui leur assureront le plus de chance de sécurité (Il est nécessaire) d’encourager l’existence d’une zone tutsi sans néanmoins la créer légalement (…). Seul sur dix territoires du Rwanda, le territoire de Kibungo est resté intouché par les émeutes. Celui de Kigali ne les a connues qu’en la chefferie Bumbogo (…). Ainsi c’est vers deux territoires que la plupart des réfugiés tendaient à se diriger. (…) C’est dans cette région de Kibungo et de Kigali que les Tutsi se sentent le plus en sûreté. C’est là aussi que se trouvent mieux placés (leurs) intérêts économiques : possibilités de développement rationnel de l’élevage. C’est donc vers les régions des territoires de Kibungo et de Kigali qu’il faudrait orienter les réfugiés tutsis.
Et afin de les y canaliser sans les forcer, il faudrait les attirer par les moyens suivants :
(a) y installer des camps de réfugiés,
(b) y organiser des services de secours aux réfugiés,
(c) accorder des facilités d’installation et d’acquisition de terres de culture et de pâturages à ceux qui voudront s’installer dans ces régions. De l’autre côté, il faudrait cadastrer les terres de culture et de pâturages abandonnés par les réfugiés, les mettre à la disposition des sous chefferies qui les distribueraient par le canal des conseils aux immigrants hutu venant des territoires tutsi. »
Jean-Claude Willame, qui a trouvé cette note dans les archives de l’ancien directeur de la Revue nouvelle Jean Delfosse, commente :
« Tout est dit dans cette note. Dont la teneur fut, dans les faits, suivie à la fois par le leadership du Parmehutu et par le pouvoir de tutelle désormais très largement entre les mains du colonel Logiest désigné comme résident civil du Rwanda. »
Effectivement, ce programme sera appliqué, avec zèle : la « détutsisation » évoquée comme un rééquilibrage sera rapidement quasi totale et le « reclassement » évoqué par Jean-Baptise Rwasibo se fera de la manière la plus brutale.
Nommé Résident militaire le 11 novembre 1959, puis Résident civil « spécial » le 3 décembre, il parviendra à concrétiser son premier objectif d’élimination de « l’OPA Unariste » à peine un peu plus d’un mois après son arrivée au Rwanda. Le 25 décembre, par un décret intérimaire publié sur l’organisation du Rwanda-Urundi, fut promulgué le remplacement des sous-chefferies par des communes « provisoires » : 21 chefs tutsi sur 43, et 314 sous-chefs tutsi sur 549 furent évincés et remplacés par des personnalités hutu. Si la « détutsisation » de l’administration ne fut pas alors totale, la plupart des membres de l’Unar avaient été évincés et remplacés par des militants du Parmehutu, et des partis Aprosoma et Rader. Des dirigeants éminents de l’Unar quittèrent alors le pays et s’installèrent à Dar Es Salaam.
Dès lors se mirent en place, dans les communes aux mains des nouvelles autorités hutu, des réunions dont le but était d’établir les listes des familles tutsi et de se prononcer sur le sort de chacune : à savoir son maintien sur le territoire communal ou son bannissement.
Dans certaines communes la population s’opposa à l’expulsion de personnalités locales qu’elle appréciait. Ce fut notamment le cas au Bufundu où la population de la sous-chefferie de Kibilizi, Hutu et Tutsi confondus, fit entrave aux agents de l’administration chargée de faire exécuter la décision de bannissement des sous-chefs Gaspard Gasarabwe et Murindabigwi. Craignant que ce soutien populaire aux chefs tutsi démis n’entraîne la perte de contrôle de la chefferie du Bufundu, Logiest dépêcha sur place 250 hommes de la forces publique pour mettre, de la manière la plus brutale, fin à ce trouble qui compromettait la réussite du plan de main-mise du Parmehutu sur le pays. Ce jour-là, Jean-Baptise Rwasibo, dont nous avons évoqué la note du 17 novembre 1959, démontra par son action quelle était la mise en pratique de sa méthode de « pacification durable du pays ».
Jean-Pierre Kayitaba, témoin de la scène, raconte [19] :
« Les gens Tutsi comme Hutu se sont regroupés autour de ces sous-chefs afin qu’on ne les enlève pas. Rwasibo [20] est venu, je l’ai vu en sortant de l’école, la population était dans la vallée de Sovu [entre Sovu et Gasaka], Rwasibo était sur la colline, il a pris un porte-voix et à dit à la population qui était rassemblée : « laissez ces gens partir car si vous ne les laissez pas partir, c’est vous qui allez en payer le prix » il a dit un proverbe rwandais : « agapfa kaburiwe n’impongo… » « qui meurt après avoir été averti est une antilope ».
Les gens ont été têtus. Ils ne sont pas partis. Alors les paracommandos congolais – on les appelait Kamena – sont intervenus. Ils sont arrivés nombreux par camions et sont allés dans la vallée. À ce moment-là, je me suis caché avec mes camarades de l’école dans une canalisation au-dessous de la route et les camions sont passés au dessus de nous.
Pour fusiller les gens, un hélicoptère est arrivé. Il volait bas et le souffle des ailes chassait les gens qui se dispersaient. C’est alors que les Kamena ont fusillé tout le monde. Gasarabwe et Murindabigwi ont pu être pris. C’est depuis ce moment que le bourgmestre Jean-Baptiste Nkurikiyimana mis en place par les belges, a été surnommé Kajugujugu [nom rwandais de l’hélicoptère]. »
Selon Jean-Damascène Bizimana, le bilan de cette journée sanglante du 25 Juin 1960 « fut de 75 personnes tuées et 35 grièvement blessées ». [21]
Pour rendre impossible toute adhésion hutu au programme nationaliste de l’Unar, le colonel Logiest puisa notamment dans la boite à outils de la DGR, celui de manipulation de l’information :
« Ainsi, la charte de fondation du parti Unar », qui est dans son contenu tout à fait outrancier envers les « Hutu » en qualifiant ces derniers de « majorité inculte », d’« êtres incapables de la plus élémentaire abstraction », s’avère être un faux [22].
Pour Léon saur, il ne fait guère de doute que la production et la diffusion de ce document fut une manipulation montée par la Résidence de Kigali. [23]
« [Les archives] n’attestent pas exactement qu’il y a eu manipulation, mais elles permettent de reconstituer les étapes de la rédaction du document. On peut en conclure que ce faux est une application des méthodes de la guerre révolutionnaire, contre-insurrectionnelle dirait-on maintenant, que Logiest menait au Rwanda.
Le colonel a en effet beaucoup utilisé les techniques contre-révolutionnaires élaborées par les officiers français en Algérie, après la défaite d’Indochine.
On peut considérer que la « charte de l’Unar » fait partie des opérations de désinformation qui ont été montées par la « Résidence spéciale de Kigali » pour utiliser la terminologie de l’époque. C’est un exemple parmi d’autres. »
Le lundi 11 janvier 1960, soit une quinzaine de jour après la réussite de son opération de « désunarisation » de l’administration locale, Logiest réunit les Agent territoriaux belges à Kigali pour leur exposer sa stratégie [24] :
« Nous sommes dans un pays qui se forme à la politique. Quel est notre but ? C’est de continuer la politisation du Ruanda. En Urundi, on essaie de ne pas faire de politique, on voudrait faire des élections avant qu’il n’ait des partis. C’est peut-être bien aussi, mais la situation est différente ici.
Nous voulons que les élections se fassent et que tout le monde au Ruanda en soit conscient. Il faut que cela se fasse pour chaque individu, en toute liberté et en toute connaissance de cause, la conséquence est une action en faveur de Hutu qui vivent dans l’ignorance et sous une influence d’oppression.
Nous sommes amenés, par la situation de fait, à prendre une attitude. Nous ne pouvons être neutres et laisser faire.
Cela nous a conduit aux exagérations de l’Unar et à perdre la face. Nous devons réagir dans un sens d’autorité et de la fermeté. Nous sommes des représentants de l’autorité et de fermeté. Nous sommes des représentants de l’autorité et celle-ci doit rester entière.
Quand vous aurez posé un acte d’autorité, vous serez soutenus par la Résidence, il faut être ferme, mais aussi pousser à l’information politique. Ce service comprend les renseignements recueillis par la Sûreté. Monsieur Castermans est chargé, lui, de l’information.
L’éducation politique doit se poursuivre, nous devons apprendre aux populations le respect de toutes les opinions et l’importance des élections. Nous devons réprimer tous les excès, d’où qu’ils viennent. Voilà notre ligne d’action. Interrogez-nous en cas de doute, nous vous donnerons des directives. Mais en demandant des directives, faites aussi des propositions.
La plus entière collaboration est nécessaire. Vous devez vous sentir soutenus et vous le serez. »
Ce discours reprend des éléments de langage « démocratiques » et « émancipateurs » mâtiné d’un vocabulaire de la fermeté. Il pourrait donner l’impression que Logiest est partisan d’un Rwanda démocratique.
Mais il n’en est rien, comme le montrent :
● son choix d’appuyer la bipolarisation de la société sur un critère racial ;
● son concours à la neutralisation du parti monarchiste et nationaliste qui ne fondait pas son projet sur une base raciste ;
● son soutien actif au processus de prise de contrôle de la population par les partisans du Parmehutu ;
● le blanc blanc-seing et la protection qu’il accorda au mouvement kayibandiste jusque dans ses actions les plus violentes…
● in fine, l’ensemble de son action [25] et de ses prises de positions [26] atteste que son projet n’était ni de construire un pays apaisé ni d’offrir à la résolution du conflit que la tutelle belge avait largement contribué à créer, une issue démocratique.
Dans le climat de tension, d’intimidation et de violence qui prévalait, dans un contexte marqué par l’expulsion d’une partie de la population vers les pays limitrophes et la déportation de familles tutsi vers des zones de relégation dans des zones peu hospitalières de l’est du sud-est du pays [27], il ne faisait guère de doute - et les scrutins successifs le confirmeront - que les scrutins électoraux organisés par la tutelle aboutiraient à l’hégémonie du Parmehutu et ouvriraient la voie à l’arrivée au pouvoir d’un parti ayant vocation à évincer toute opposition.
Ce faisant, prenait provisoirement forme le projet de la doctrine de la guerre révolutionnaire, promu ici par Logiest, de porter au pouvoir un parti unique, anticommuniste, capable d’exercer un contrôle total de la population.
Jean-Luc Galabert
En savoir plus
[1] Gabriel Périès et David Servenay, Une Guerre noire. Enquête sur les origines du génocide rwandais (1959-1964), Paris : La Découverte, 2007 ; Marie-Monique Robin, Escadrons de la mort, l’école française, 2004, Paris : La Découverte, 2008 ; Léon Saur, 2012, Catholiques belges et Rwanda : 1950-1964 : les pièges de l’évidence, chapitre 2.3.2. Les outils de la guerre révolutionnaire, 2.3.3.3. L’option de la « guerre révolutionnaire », 2.3.6. Pour voir les effets de la « guerre révolutionnaire » sur le terrain, Revue La Nuit rwandaise vol 1 à 10, Éditions Izuba et L’esprit frappeur.
[2] Armée Républicaine Irlandaise qui luttait contre la domination anglaise sur l’Irlande
[3] Parmi les ouvrages et articles consacrés par des militaires à la DGR on peut citer R. Trinquier, La Guerre moderne, Paris : La Table ronde, 1961, et idem Guerre. Subversion. Révolution, Paris : Laffont, 1968, p. 49 ; La Conférence du colonel Lacheroy- Guerre révolutionnaire et arme psychologique, 2 juillet 1957 ; Jacques Hogard, « Guerre révolutionnaire ou révolution dans l’art de la guerre », in Revue de Défense nationale, décembre 1956, pp. 1497-1500.
[4] Marie-Monique Robin, Escadrons de la mort, l’école française, La Découverte, 2004.
[5] Revue La Nuit Rwandaise n° 9, Éditions Izuba et L’Esprit frappeur, 2015 p. 73-124
[6] Idem, p. 94
[7] Le général Jacques Massu qui officiait en Algérie qui rappelle que l’action psychologique n’a de valeur pratique qu’appuyée sur la force, la définit de la manière suivante : « L’action psychologique doit : Informer : c’est-à-dire donner d’une façon permanente et continue les éléments qui permettent à la population d’éclairer son choix. Éduquer : c’est-à-dire guider ce choix, en s’appuyant sur des réalisations concrètes et en les interprétant. Organiser : c’est-à-dire placer dans les différents groupes de la population les ferments indispensables à une prise de parti collective. » ( cité par G. Périès, « Stratégies de la fausse citation dans le discours de la doctrine de la ’guerre révolutionnaire’ », in L. Henninger et alii, Histoire militaire et sciences humaines, Bruxelles : Complexe, 1999, pp. 61-84.
[8] « Compte rendu de la réunion du 21 novembre 1959 à Astrida », in L. Jaspers, Aus meinem Leben. Ma vie d’administrateur de territoire. Ruanda II 1956-1960, [Glorianes (France) : 2009], pp. 375-376. (cité par Léon Saur, 2012, p. 754)
[9] Milieux liés au Mouvement ouvrier chrétien (MOC)
[10] Op. cit. pp. 1394-1395 (Les notes de bas de page sont aussi de Léon Saur)
[11] La formule est du colonel Charles Lacheroy.
[12] MOC : Mouvement ouvrier chrétien / ACW : Algemeen christelijk werkersverbond (nom du MOC en flamand)
[13] Les mots sont du capitaine Jacques Hogard (« Guerre révolutionnaire ou révolution dans l’art de la guerre », in Revue de Défense nationale, décembre 1956, pp. 1497-1500).
[14] Ce choix fut impossible à la même époque au Burundi, ou l’absence de trouble violents ne permettait de disposer du prétexte nécessaire.
[15] J.P. Harroy, Rwanda. De la féodalité à la démocratie 1955-1962, Bruxelles-Paris : Hatier/Académie des sciences d’outremer, 1984, pp. 334.
[16] MARLIERE. « Rapport de mission en Algérie [décembre 1958] », in ArchAMBAE/AA A27 FP(2517)193. (Cité par Léon. Saur, 2012)
[17] « Comment peut-on défendre une cause qui vient d’être compromise, dans les milieux internationaux, par sa seule dénomination. Si ce nom vous a servi dans la période de sensibilisation, nous estimons que les résultats sont assez palpables et que ce peuple ne peut faire une marche arrière. Beaucoup d’attaques lancées contre votre parti se bornent uniquement à ce problème. Si vous persistez dans cette voie, notre position risque d’être ouvertement défavorable. Nous avons entamé un processus de démocratisation du pays par un système électoral, votre parti devrait se conformer aux changements actuels et rejeter à jamais certaines allusions à caractère discriminatoire. Votre bonne volonté et votre compréhension dicteront une sérieuse appréciation du problème… » Lettre du colonel Logiest au comité du Parmehutu. [Kigali :] 19 avril 1960 », Source citée par Léon Saur, 2012, 838 : S. MUSANGAMFURA, Le Parti M.D.R. Parmehutu : information et propagande. Essai d’analyse de la presse, des documents officiels et des témoignages oraux (1959-1969), mémoire de licence, UNR (campus de Ruhengeri), 1987, pp. 129-131.
[18] « Pour une durable pacification du Pays », Kigali, 17 novembre 1959, archives de Jean Delfosse, ancien directeur de la Revue nouvelle. (citée par Jean-Claude Willame, Le muyaga ou la « révolution » rwandaise revisitée. In : Revue française d’histoire d’outre-mer, tome 81, n°304, 3e trimestre 1994. p. 318.
[19] Interview par Jean-Luc Galabert, 12 décembre 2016.
[20] Jean-Baptiste Rwasibo, alors militant influent du Mouvement Social Muhutu venait d’être nommé chef intérimaire de la province du Bufundu.
[21] Jean-Damascène Bizimana, Rwanda : l’itinéraire du génocide commis contre les Tutsi, à paraître aux éditions Izuba. Sur cet événement voir aussi : René Lemarchand, Rwanda and Burundi, New York-Londres Praeger, 1970, p. 179
[22] Charte de fondation du parti Unar. 15 août 1959 », in Rwanda politique. 1958-1960, documents présentés par F. Nkundabagenzi, Bruxelles : Crisp, 1961, pp. 93-95. Pour le commentaire de ce document, lire Léon Saur, 2012 pp. 759-760.
[23] Pour les leaders historiques de l’Unar, interrogés par Filip Reyntjens, « ce document est un faux, qui leur est inconnu et qui ne fut jamais approuvé par le parti ». Cf. Filip Reyntjens, Pouvoir et droit au Rwanda. Droit public et évolution politique, 1916-1973, Tervuren : MRAC, 1985, p. 257.
[24] « Compte rendu de la réunion des administrateurs de territoire. Kigali : 11 janvier 1960 », cité par Léon Saur, 2012, p. 754, et précédemment cité par René Lemarchand, Rwanda and Burundi, Londres : Pall Mall Press, 1970, p. 173. ArchAMBAE/AA A61 MF/RU n°18.235.7 et pour partie dans Rwanda politique. 1958-1960, documents présentés par F. Nkundabagenzi, Bruxelles : Crisp, 1961, pp. 211-215.
[25] Une anecdote représentative de l’attitude de Logiest rapportée dans la thèse de Léon Saur mérite ici d’être rappelée pour son caractère édifiant : « Praticien de la guerre révolutionnaire, Logiest était lui-même adepte des méthodes « terroristes ». À un moment qu’il ne précise pas de 1960 ou 1961, l’AT Nyssens apprit de la bouche du colonel que celui-ci avait autorisé son adjoint à ordonner aux « Hutu » des collines Kininya et Remera (environs de Kigali) d’incendier les maisons de « Tutsi » situées le long de la route. Cela, afin de « gagner les élections ». Le fait que Nyssens obtint néanmoins du colonel la mutation immédiate de son adjoint à Usumbura ne change rien au fond de l’affaire (J. Nyssens, À pied d’œuvre au Ruanda 1948-1961, Lille : Sources du Nil, 2012, pp. 108-110). En vérité, on ne sait trop si Logiest fut ébranlé par la fermeté de Nyssens ou s’il craignit qu’une mutation de ce dernier à Usumbura n’ébruite l’affaire du blanc-seing qu’il avait donné à un fonctionnaire belge apprenti agitateur et terroriste.
Quoi qu’il en soit, notons que l’AT Guido De Weerd est accusé par d’anciens Unaristes d’avoir fourni essence et allumettes aux incendiaires (Entretien avec Gulam Rahamatali et Jacques Kivuye-Borgers. Namur : 11 octobre 2011). » Léon Saur 2012, p 751.
[26] On peut ici rappeler la prise de position de Logiest en faveur de gouvernement autoritaire sous égide de parti unique noté par le colonel BEM Edouard-Paul Delperdange du Commandement Ruanda-Urundi (Comru), dans son compte-rendu d’une réunion du 29 septembre 1960 à Kigali : « on va vers des régimes autoritaires. Des peuples pauvres et sous-développés ne peuvent autrement que tomber dans le communisme. [...] le Rwanda est un des pays les plus catholiques, qu’il n’y pas plus anticommunistes que les Hutu, qu’ailleurs il n’y a que des poussières de parti, et à chaque parti il faut donner des places, alors qu’au Rwanda il n’y a pas de tribalisme, mais un seul parti. » cf. Léon Saur 2012, p 951.
[27] Bwiriri et Rukumberi dans la région de Kibungo ; Nyamata au Bugesera ; Rubago et Gihinga dans la région de Ngenda également au Bugesera cf. infra : le chapitre « Déportation, zone de rétention et camps d’internement de Tutsi à l’intérieur du Rwanda ».