Quand le général Nkunda accusait la France de continuer à soutenir les milices génocidaires
INTERVIEW
Au cours d’un entretien accordé le 12 janvier 2007 à Serge Farnel, le général Laurent Nkunda, chef de la principale rébellion de la République Démocratique du Congo (RDC), accusa le général français Christian Houdet, alors chef militaire de la mission des Nations unies au Congo (MONUC), de confondre les intérêts de la France avec ceux de la mission onusienne qui lui avait été confiée, en s’opposant au désarmement des milices Interahamwe qui terrorisaient pourtant alors toujours les populations civiles du Congo oriental.
L’entretien eut lieu sur les hauteurs de Kirolirwe (province du Nord-Kivu à l’est du Congo-Kinshasa) dans le Masisi, où le général Nkunda et ses hommes avaient établi leur quartier général.
Les Interahamwe sont les milices génocidaires que les soldats français exfiltrèrent du Rwanda vers l’est du Congo, en juillet 1994, alors que, dans le cadre de l’opération Turquoise, la France avait été mandatée par l’ONU aux fins de protéger les populations civiles victimes du génocide perpétré précisément par ces mêmes Interahamwe.
Or, depuis cette date, fort de leur réarmement par la France dans des camps de la RDC, les Interahamwe s’en sont désormais pris aux populations civiles des provinces congolaises du Sud et Nord-Kivu, frontalières du Rwanda. Les Tutsi congolais font ainsi, aujourd’hui encore, les frais de cette présence de groupes armés à l’idéologie génocidaire, si bien que nombre d’entre eux ont fini par trouver refuge au Rwanda, où des camps ont été installés afin de les accueillir. Certains réfugiés, parmi les quelque 50 000 actuellement présents au Rwanda, y sont ainsi depuis plus de dix ans !
Laurent Nkunda révéla, au cours de l’entretien, avoir eu copie du compte-rendu d’une réunion secrète de la 8ème région militaire congolaise, tenue le 5 janvier 2007 par Christian Houdet dans sa résidence de Goma (Chef-lieu de la province du Nord-Kivu à l’est du Congo). Au cours de cette réunion, le général français avait alors déclaré que l’incapacité opérationnelle des forces armées officielles congolaises ne leur permettait pas de combattre les Interahamwe. Or, selon le général Nkunda, ce qui leur faisait alors défaut n’était pas tant la capacité que la volonté de les combattre.
Considérant que cet objectif n’était tout simplement pas le but de la mission onusienne, Nkunda avait fini par asséner : « Quand je constate la sympathie des Français pour les Interahamwe, je comprends que le général Houdet a agi en fonction de la politique de son pays », avant de conclure que « la France n’est toujours pas disposée à lâcher les Interahamwe ».
D’après le général rebelle, le chef d’état-major de la force onusienne au Congo aurait déclaré : « nous avons appris que vous allez constituer des brigades et combattre les Interahamwe. Mais nous n’allons pas donner (à ces brigades) la logistique en armes et munitions. »
Serge Farnel s’était également procuré une copie du compte-rendu de ladite réunion au cours de laquelle il s’avéra, en effet, que le général Ngizo, à la tête de la délégation des Forces armées congolaises, avait déclaré au général Houdet que les futures brigades à être brassées à Kirolirwe et à Tongo, allaient avoir pour mission de s’attaquer aux « forces négatives » (le FDLR, les génocidaires). Il avait demandé, à cet effet, et si cela s’avérait nécessaire, que la MONUC lui assure un soutien défensif. Ce à quoi le général français lui avait opposé une fin de non-recevoir, rétorquant que la force onusienne se limiterait à un soutien logistique, mais que « cependant, elle ne supporterait pas cette mission par un approvisionnement en armes et en munitions ».
Rappelons toutefois qu’à l’occasion d’une opération menée à Nyamirima, deux jours durant, l’armée régulière congolaise y avait non seulement, elle, bénéficié de l’appui logistique de la MONUC, qui avait affrété des hélicoptères au transport des troupes de l’armée régulière congolaise, mais aussi d’une frappe aérienne de ces mêmes hélicoptères onusiens.
Pour ce qui est de l’incapacité des forces brassées de se confronter au FDLR, Laurent Nkunda tint à rappeler à Serge Farnel, qu’en dépit de l’absence d’un quelconque soutien à ses propres troupes, les Interahamwe ne piétinent pas le territoire que son mouvement, le CNDP, contrôle. C’est ce qui fit dire au général qu’un soutien logistique des Nations Unies, équivalent à celui apporté à l’armée congolaise en d’autres occasions, lui aurait permis, dans le cadre de la mission de protection des populations civiles, d’aller audelà du territoire qu’il contrôlait alors.
Au cours d’un entretien téléphonique qui eut lieu le 8 janvier 2007, entre Serge Farnel et Kemal Saïki, porte-parole de la MONUC en poste à Kinshasa, ce dernier rappela qu’une des pierres angulaires du mandat onusien était d’éloigner le FDLR des populations civiles. Or le général Nkunda fera état, au cours de l’entretien qu’il accordera quatre jours plus tard au journaliste français, de ce qu’il n’avait jamais vu les soldats onusiens attaquer les Interahamwe. « Quand ils décident de les attaquer », avait-il alors ajouté, « ils l’annoncent à la radio une semaine avant ». Et le général dissident de conclure : « Vous comprenez ce que ça fait. »
En savoir plus