Un prêtre catholique condamné à la prison à vie pour crime de génocide

Jean-Claude Ngabonziza - 19/04/2008

L’Abbé Athanase Seromba condamné à la prison à vie
par Jean-Claude Ngabonziza

Mercredi le 12 mars 2008 à Arusha (Tanzanie), la Chambre d’Appel du Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR) a condamné l’Abbé Athanase Seromba à la prison à vie pour génocide et crimes contre l’humanité.

Malgré la gravité des faits à son actif, il avait fait appel de sa première condamnation à 15 ans d’emprisonnement lui infligée par la Chambre de Première Instance du TPIR le 13 décembre 2006, dans l’espoir d’un sort plus clément.

Pour la première fois dans l’histoire de ce tribunal, les juges à la Chambre d’Appel ont alourdi la peine imposée par leurs pairs de l’instance inférieure. Les juges ont en effet conclu que la responsabilité du prêtre allait bien au-delà du simple encouragement retenu lors de la première condamnation.

Les crimes reprochés à l’Abbé Athanase Seromba remontent au 16 avril 1994 à la Paroisse de Nyange, dans l’Ouest du Rwanda. Pourchassés et massacrés par leurs voisins Hutu, environ 1.500 Tutsi de la région s’étaient réfugiés à l’église de leur paroisse, croyant que ce lieu sacré allait être respecté.

Ces paysans (pour la plupart) étaient dans l’ignorance totale du fait que le génocide des Tutsi avait été décrété par le gouvernement extrémiste dit « Hutu Power » qui s’était autoproclamé après l’assassinat de la Première Ministre Agathe Uwilingiyimana, des ministres modérés de son cabinet et même le Président de la cour Suprême !

Durant quatre jours, c’est-à-dire les 12, 13, 14 et 15 avril 1994, des Tutsi assiégés subissaient chaque jour de lourdes pertes dans leurs rangs ! Ils étaient cependant parvenus à résister en lançant des cailloux aux miliciens Interahamwe qui encerclaient l’église. Affaiblis par la faim, la soif et le siège de 4 jours, ils ont finalement décidé de se barricader à l’intérieur de l’église, croyant trouver un peu de répit.

C’est alors que le lendemain le 16 avril, l’Abbé Athanase Seromba accompagné des autorités locales et préfectorales qui avaient accouru pour galvaniser la horde de tueurs, a enjoint au chauffeur d’un bulldozer réquisitionné pour la circonstance, à détruire l’église en lui montrant le côté faible de la structure par où commencer. Les détails affreux de ce massacre raconté par un survivant ont été publiés dans le livre : « L’honneur perdu de l’Église », par Christian Terras et paru aux éditions Golias en 1999.

A la fin du génocide en juillet 1994, le tristement célèbre prêtre s’était d’abord réfugié au Zaïre actuelle R.D.C (République Démocratique du Congo) avant de regagner Rome en passant par Naïrobi au Kenya, grâce à l’aide de la Congrégation des Pères Blancs. Pendant cinq ans, au milieu des gens qui ignoraient tout de son passé lugubre, l’Abbé Seromba exerça librement son ministère dans le diocèse de Florence, au village de Toscane en Italie.

C’est suite à la pression de l’opinion internationale scandalisée par ses crimes révélés publiquement qu’il a finalement été forcé de se rendre au Tribunal d’Arusha en février 2002 pour y être jugé. Il est à rappeler que la peine d’emprisonnement à vie à laquelle l’Abbé Seromba a été condamné est la plus lourde que ce tribunal onusien impose.

Deux autres prêtres sont encore en procès devant le même tribunal, à savoir les Abbés Emmanuel Rukundo et Hormisdas Nsengimana, tandis qu’un autre prêtre diocésain, l’Abbé Wenceslas Munyeshyaka, est poursuivi par la justice française.

L’Église Catholique est régulièrement pointée du doigt pour son rôle présumé dans le génocide des Tutsi au Rwanda. Mais comme l’a bien décrit le regretté Jean-Paul Gouteux, lorsque les faits deviennent trop évidents à l’endroit de cette institution, la réplique souvent évoquée est qu’« il s’agit de l’effet Diable » !

La justice a un long chemin à faire.

Même si c’est comme une goûte d’eau dans l’océan, on ne peut que saluer le petit pas franchi par la justice internationale dans le jugement des génocidaires disséminés à travers le monde.

Cependant, eu égard au nombre effarant des crimes commis au Rwanda en 1994, la justice a encore un long chemin à faire. Soulignons que le TPIR a jusqu’à ce jour prononcé une trentaine de condamnations et 5 acquittements.

Il est aussi à louer les efforts de quelques pays qui ont commencé à juger les génocidaires se trouvant sur leurs territoires, notamment par le biais de la loi de la compétence internationale.

Le premier en date a été le Royaume de Belgique qui jusqu’à ce jour a rendu 7 jugements, tous de condamnations à des peines allant de 10 ans à 20 ans.

Le Canada, quant à lui, est en train d’expérimenter sa Loi de 2001 contre le génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, dans un procès contre un ressortissant rwandais en la personne de Désiré Munyeza et dont le verdict est très attendu. Ce dernier est accusé d’avoir participé au génocide des Tutsi en 1994 à Butare au sud Rwanda.

L’on peut aussi rappeler qu’à l’issue d’un autre procès en 2005, la Cour suprême du Canada a donné gain de cause au Ministère de l’Immigration dans une affaire contre le sieur Léon Mugesera contre qui l’ordre d’expulsion est toujours pendant.

Cette affaire est en rapport avec le fameux discours d’incitation au génocide, prononcé par l’individu en question en 1992 à Kabaya, dans le nord-ouest du Rwanda.

Pour sa part, la France a récemment lancé quelques poursuites qui n’ont pas encore connu d’aboutissement. Outre l’Abbé Wenceslas Munyeshyaka, ces poursuites visent un ancien Sous-Préfet et un ancien Préfet de Préfecture durant le génocide, ainsi qu’un ex-colonel de Forces Armées Rwandaises.

D’autres pays pourront-ils emboîter le pas à ces pionniers de la lutte contre l’impunité du génocide des Tutsi du Rwanda ?

C’est en tout cas un souhait que partagent toutes celles et ceux qui ont été ébranlés par les cruautés de 1994 au Rwanda !

Jean-Claude Ngabonziza

Gatineau, Québec

Jean-Claude Ngabonziza est le correspondant en Amérique du Nord de Golias.

Il a notamment écrit :

France-Rwanda : B. Kouchner confesse des peccadilles et A. Juppé crie haro !

La France au Rwanda : le pire scandale de tous les temps à l’horizon

et sur Hobe Montréal (le portail d’information de la Communauté rwandaise de Montréal)

Une conférence sur le génocide des Tutsi tourne en duel entre panélistes et leur public en colère !

Jean-Claude Ngabonziza est le correspondant pour l’Amérique de la revue Golias. Il est également un collaborateur régulier de La Nuit rwandaise.
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 19/04/2008

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